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Dieu est-il un gaucher qui joue aux dés ?

Histoire drôle, mais vraie, de la découverte de l'univers,
et des environs.


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Aristote, le retour!

 

Aristote, le retour !

La machine intellectuelle qui s'était grippée avec l'effondrement du monde antique était enfin relancée. Le goût des questions, des spéculations, des confrontations d'idées, était revenu. C'est sur ce terrain propice que déferle, vers la deuxième moitié du XIIe siècle, " la grande crue aristotélicienne " (Edouard Jeauneau). C'est à cette époque en effet que des textes antiques, dont un grand nombre d'Aristote, parvinrent à la connaissance de l'occident. On avait vu, quelques pages plus haut, ces textes quitter la Grèce, chassés par l'édit stupide de Justinien ; ils reviennent maintenant en masse, après un long séjour de près de six siècles en orient et en terre d'Islam. C'est ainsi que les moines d'occident voient débarquer, médusés, Aristote, Galien, Ptolémée, Thémistios, Avicennes, Averroès...[N1]

Les moines sont fascinés. Ils découvrent en effet d'impressionnantes constructions intellectuelles, parfaitement logiques et cohérentes, capables de tout expliquer - et le comble, de tout expliquer sans faire appel à la révélation !
Il y avait donc une vie et une pensée avant la révélation !

L'univers éternel ?

La hiérarchie catholique toutefois était loin d'apprécier toute la beauté de ces textes païens. Ils affirmaient en effet des tas d'horreurs ;
que par exemple le monde n'avait pas été créé, mais existait de toute éternité ;
ou encore que l'âme n'était que la forme du corps, et qu'elle mourait en même temps que lui ;
ou encore qu'il était naturel de rechercher le bonheur sur terre...

Bref, je vous le disais, des horreurs ! Et en 1210 l'enseignement de la plupart des textes d'Aristote, ou simplement leur commentaire, fut interdit - sous peine de rien de moins que l'excommunication ! Il n'était pas question par exemple de revenir sur la question de l'éternité de l'univers, puisque les Ecritures enseignaient clairement que Dieu l'avait créé le 26 octobre de l'an 4004 avant Jésus-Christ, à 9 heures du matin [N2]. De plus, il suffisait d'un minimum de raisonnement pour se rendre compte que, sur ce point au moins, Aristote avait manifestement tort. Si l'univers en effet était éternel, il se serait donc accumulé une infinité d'âmes depuis la nuit des temps ; lesquelles se réincarneraient donc en une infinité de corps lors de la réincarnation ; ce qui nécessiterait un univers infini ! C'était manifestement impossible, donc l'univers n'est pas éternel, il a eu un début. C.Q.F.D. !

Il est évidemment facile aujourd'hui d'ironiser sur l'absurdité de ces "démonstrations" théologico-physiques - lesquelles restent absurdes même lorsque par hasard elles aboutissent à une conclusion correcte. Pour la défense des pauvres moines du Moyen Age on peut supposer qu'il leur était sans doute impossible de faire mieux, compte tenu du savoir de l'époque.
Toutefois... les anciens aussi avaient raisonné à propos de l'éternité du monde, et avaient su le faire en traitant de ce problème physique, sans faire appel à des notions aussi peu physiques que la réincarnation des âmes. Lucrèce (98-55) par exemple avait constaté qu'au cours de l'histoire les techniques avaient évolué, celles de la construction des navires, ou encore l'art musical... Il en avait déduit tout naturellement, que si l'univers existait de tout temps, tous ces progrès auraient déjà été accomplis ; ce n'était pas le cas, et donc l'univers avait eu un début :

"En vérité, le monde est dans sa prime nouveauté,
je le crois, sa genèse n'est pas ancienne ;
c'est pourquoi aujourd'hui certains arts se perfectionnent
et progressent encore : maints agrès aux bateaux s'ajoutent,
les musiciens ont récemment créé des harmonies. " (Lucrèce, De rerum natura, V, 330)

Zénon le stoïcien (336-264) avait fait le même type de raisonnement, en observant l'érosion qui emporte la terre des collines vers le fond des vallées : si l'univers existait depuis un temps infini, la terre serait donc plate depuis longtemps.

... Pas de doutes donc, il était possible de raisonner aussi bien, sinon mieux, que les moines du Moyen Age - les anciens l'avaient fait bien des siècles auparavant ! C'est ce que les moines découvraient avec stupeur dans les œuvres antiques.

Averroès botte en touche.
Toutefois, cette rigueur des anciens posait problème. Ils étaient des maîtres dans l'exercice de la raison, et pourtant, ils étaient parvenus à des conclusions fausses, puisque non conformes à la Révélation. Fallait-il en déduire qu'il existe une vérité selon la raison, et une autre, différente, selon la foi ?

Averroès (Ibn Rushd - arabe de Cordoue - 1126/1198), le premier commentateur moderne d'Aristote, fut confronté à cet immense problème. Ne trouvant aucune solution, ne trouvant aucun coéquipier à qui passer le problème, il crut bien faire en bottant en touche, c'est-à-dire en élaborant la théorie de la "double vérité", selon laquelle il existe effectivement une Vérité selon la foi, et une vérité différente selon la raison. Il se débarrassait ainsi d'un ballon qui devenait vraiment encombrant, trop chaud, trop dangereux.

Carton rouge !
Hélas, le coup de pied d'Averroès était mal ajusté. Le ballon tomba en effet très près des buts de l'équipe Eglise de Rome, la mettant en grand danger ; si une équipe adverse, une équipe de païens, réussissait en effet à le récupérer, il lui serait alors facile de marquer des points en montrant que la foi dans les Ecritures n'était que certitude sans raison, et donc simple opinion.

Il fallait récupérer ce ballon à tout prix ! Il n'était pas question de laisser courir que la foi n'était qu'un ramassis de croyances sans logique !

L'évêque-capitaine de l'équipe de Paris, Etienne Tempier, concentra tous les efforts de ses joueurs contre ce maudit ballon. En 1277 il condamnait ceux qui disaient " que certaines choses sont vraies selon la philosophie, qui ne le sont pas selon la foi catholique ; comme s'il existait deux vérités contraires l'une à l'autre, comme si, contre la vérité des Saintes Ecritures, la vérité pouvait se trouver dans les textes de ces païens que Dieu avait damnés ! "
La sanction prévue pour ceux qui auraient été tentés de jouer avec ce ballon empoisonné était terrible : carton rouge ! (appelé excommunication à l'époque)


Saint Thomas récupère !
C'est saint Thomas d'Aquin, un ancien de l'équipe des frères prêcheurs, qui fut le héros de la rencontre en récupérant ce damné ballon. Il faut dire qu'avant même le début de la partie il se sentait déjà très en forme, très confiant ; il avait déclaré aux journalistes, très sûr de lui, qu'il serait sûrement vainqueur, car la foi et la raison ne pouvaient se contredire, puisqu'elles émanaient toutes deux de Dieu. Elles procédaient différemment, l'une partant de Dieu, l'autre partant des choses créées, mais elles devaient obligatoirement se rejoindre, et lui Thomas, se faisait fort de favoriser et provoquer cette rencontre. La foi est supra-rationnelle, mais n'est pas irrationnelle.
Cette problématique est encore de la plus épineuse actualité. Aujourd'hui encore, on tente de défendre avec acharnement la thèse de la rationalité de la foi, pour éviter les conséquences dramatiques que résume le président de la fameuse équipe "Église de Rome" : " La foi, privée de la raison, […] tombe dans le grand danger d'être réduite à un mythe ou à une superstition. " (Jean-Paul II - lettre encyclique "Fides et ratio" - 1998.)
Nous reviendrons à la fin de ce livre sur ce sujet fondamental.

Saint Thomas montrera ainsi que si certains points de la foi ne peuvent être atteints par la raison - c'est le cas du mystère de la Trinité - d'autres points sont à sa portée : il est possible par exemple de démontrer par la raison que Dieu existe. Et joignant le geste à la parole, saint Thomas donnera cinq preuves de l'existence de Dieu, s'appuyant sur les démonstrations qu'en avait déjà donné Aristote.

Aristote ? Mais, que faisait donc ce païen d'Aristote dans l'équipe de saint Thomas ?
Il faut dire que pour récupérer le ballon d'Averroès, saint Thomas procéda de façon subtile et inattendue : il s'employa en effet à soudoyer et corrompre l'un des meilleurs joueurs de l'équipe adverse, le milieu de terrain de l'équipe païenne d'Athènes, Aristote. C'était à la limite de la régularité, et les arbitres, tous membre de la puissante UUARI, Union Universelle des Arbitres Romains Infaillibles, union souveraine en toutes matières à cette époque, redoutée de tous les joueurs du monde connu, observèrent l'affaire d'un œil soupçonneux. Ils sifflèrent à plusieurs reprises, et n'hésitèrent pas à sortir le carton rouge pour ceux qui se risquaient à enseigner et commenter les œuvres d'Aristote dans les universités. Parmi les arbitres les plus sévères on a remarqué Grégoire IX[N3], Innocent IV, Urbain IV, Etienne Tempier déjà cité...
En dépit de la rigueur des arbitres, saint thomas parvint quand même à christianiser une grande partie de l'œuvre d'Aristote. Il en reprendra en particulier la conception de la matière, qui serait en réalité substance composée de matière et de forme, ainsi que les notions de puissance, d'acte, et d'accident. Avec ces éléments, il parvint à tout expliquer d'une façon qui semblait rationnelle. Tout ! Dans la prestigieuse "Summa theologica" tout était dit en effet. Depuis l'humble physique, jusqu'à Dieu tout-puissant ; depuis l'eau, l'air, la terre, et le feu, jusqu'aux anges et aux démons ; depuis le salut de l'âme, jusqu'à Dieu et ses saints ; depuis la chute des pierres, jusqu'au monde des astres. Tout était dit, tout était expliqué ! La foi et la raison étaient non seulement réconciliées, mais fondues en un unique et immense système, logique et cohérent.
Par exemple, l'âme et le corps forment ensemble une seule substance dont l'âme est la forme ; puisque matière et forme ne peuvent exister seuls en dehors de la substance, cela veut dire que l'âme ne peut survivre seule après la mort : il en découle nécessairement l'idée de résurrection de la chair, ainsi que l'avait annoncé le Christ.

C.Q.F.D !
Toutefois, cette brillante démonstration ne résout pas, loin de là, tous les immenses problèmes que pose la résurrection de la chair. Le corps ressuscité sera-t-il celui de l'éclatante jeunesse, ou celui de la vieillesse décrépie ? Les aveugles renaîtront-ils aveugles ? Ce corps ressuscité, aura-t-il des dents? s'en servira-t-il pour manger? pour manger quoi? La question ne peut être évacuée d'un geste de la main ; n'oublions pas que Jésus ressuscité mangeait :
" Ils lui présentèrent un morceau de poisson grillé. Il le prit et le mangea devant eux. " (Lc 24,39) Autre question fondamentale : le corps ressuscité aura-t-il des organes génitaux ? pourra-t-il s'en servir ? - problèmes longuement abordés par Tertullien, père de l'Église (environ 155 - 225), dans son traité "La Résurrection des morts". Et s'il était possible de se servir de ces organes génitaux ressuscités, la question se pose de savoir avec qui ; l'Évangile selon saint Marc aborde cette question épineuse : une veuve ayant eu plusieurs maris, duquel de ces maris ressuscités sera-t-elle l'épouse ressuscitée ? (Mc 12,18)

 

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NOTES:

[N1] : Ils débarquent clopin-clopant, car passablement estropiés par leur long voyage oriental, couverts de plaies et de cicatrices. Ils arrivent en effet après être passés de traduction en traduction de traduction, perdant à chaque fois un peu de leur substance ; certains par exemple sont passés par le grec, le syriaque, l'arabe, l'hébreu, l'espagnol, avant de débarquer enfin en traduction latine !

[N2] : Voir la détermination de l'âge de la terre dans le chapitre sur l'évolution.

[N3] : Inventeur d'un système de pénalité très particulier, plus redoutable encore que le carton rouge : la Sainte Inquisition.

 

 

TABLE DES MATIERES

I. Introduction.

II. Les personnages.

III. Les premiers philosophes, les "Présocratiques".

Du mythe à la physique.      [lire des extraits]
Les milésiens, philosophes de la nature.
La fin des mythes ?
Le changement, l'être, l'esprit, l'atome et le hasard.
Les mythes, le retour !
De la physique vers la métaphysique - Pythagore.
Xénophane.      [lire des extraits]
Héraclite.      [lire des extraits]
Parménide et le " traumatisme éléatique ".
Empédocle.
Anaxagore.      [lire des extraits]
Démocrite.
IV. La période classique.
Les Sophistes - Socrate - Platon.
Les sophistes.
Platon
Aristote.
Aristote, Platon, Parménide, et les autres.
Le monde d'Aristote.
L'influence d'Aristote.
V. La période hellénistique et romaine.
Et le bonheur dans tout ça ?
Epicure.
Le stoïcisme.
Le doute et la pose.
VI. Le Moyen Age.
Saint Augustin.
L'église épouse Platon.
La toute-puissance de Dieu.       [lire des extraits]
La prédestination.
La souffrance.
Sans limites ?
La Grande Coupure.
Après l'an mille.
Le renouveau de l'an mille.
Aristote, le retour !      [lire des extraits]
La certitude en action.
Le Moyen Age n'est pas mort.
Moyens Ages d'hier et d'aujourd'hui.
La recette du Moyen Age.     [lire des extraits]
VII. Un nouveau monde.
Des hommes nouveaux dans un nouveau monde.
L'héliocentrisme - la naissance de la physique classique.
La révolution copernicienne.
Copernic - Kepler.
Galilée.      [lire des extraits]
Le vrai débat.
Le principe d'inertie.
Newton.
L'univers est-il infini ?
Einstein.
La révolution mécaniste du XVIIe siècle.
Une révolution culturelle.
Nous, les machines ?
VIII. Enfin l'incertain fut !
Un enfant étonnant et contestataire.
Le décodage des Ecritures.
L'apprenti-sorcier.
La fin des certitudes ?
L'incertain débusqué.
Nostalgie de l'illusion.
Orphelin de certitudes.
Le théorème de Dieu.
De l'illusion à la violence.
IX. De Galilée à Darwin.
Rationalistes et empiristes.
Descartes.
La métaphysique classique.
Les empiristes - Hume.
Kant
X. La nature se dévoile.
L'évolution des espèces - Darwin.
La matière et la vie.
La chimie de la vie.
La vie de la vie.      [lire des extraits]
La génération spontanée, ou la vie de la matière.
L'âge de la terre.      [lire des extraits]
Les débats de l'évolution.
L'homme descend du singe !
Le point sur la théorie.
Les créationnistes : le Moyen Age bouge encore !
Hasard contre intelligence.
Entre la bête et l'ange - l'homme évolué.
La physique moderne.
La relativité - Einstein.
Le big bang.
La découverte du big bang.      [lire des extraits]
La colonisation du big bang - Questions de temps !
La mécanique quantique.
" Aucun phénomène n'est réel tant qu'il n'est pas observé. "
Le hasard dans la science !      [lire des extraits]
La colonisation de la mécanique quantique - Les mythes sont de retour !
Pourquoi y a-t-il quelque chose plutôt que rien ?      [lire des extraits]
La machine humaine ?
XI. Et le monde fut.
Matière ou esprit ?
L'univers esprit.
Une réponse... qui pose des questions !
Un créateur discret et paresseux.
Foi et raison.
L'univers matière.
La création et la créature.
Le monde imparfait.
La multitude.
Le bon vieux temps… c'est aujourd'hui !
L'homme ancien - La bête humaine.


(400 pages environ.)

 

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